Le métavers : un espace sans limite pour les géomètres-experts ?

Fabien Palfroy, géomètre-expert à la Baule, coordonnait en mai dernier, la journée d’étude organisée par le Conseil régional de l’OGE des Pays de Loire. L’occasion pour la profession et les autres acteurs du cadre de vie présents de s’interroger sur l’articulation entre  Zéro Artificialisation Nette (ZAN) et urbanisme. Autre matière à débat : comment répondre au […]

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Fabien Palfroy, géomètre-expert à la Baule, coordonnait en mai dernier, la journée d’étude organisée par le Conseil régional de l’OGE des Pays de Loire. L’occasion pour la profession et les autres acteurs du cadre de vie présents de s’interroger sur l’articulation entre  Zéro Artificialisation Nette (ZAN) et urbanisme. Autre matière à débat : comment répondre au besoin de développement et mobiliser le foncier nécessaire dans le contexte de sobriété foncière ? La séquence en duo et exploratoire autour du métavers, entre Fabien Palfroy et Xavier Poirier, architecte perspectiviste, fondateur de Spectrum, a particulièrement attiré notre attention.

Bonjour Xavier Poirier, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vous et nous expliquer ce qu’est le métavers ?

X.P : « Nous travaillons depuis plus de 10 ans avec une quinzaine de collaborateurs (architectes, infographistes 3D et développeurs) dans la mise en valeur par l’image de projets architecturaux et immobiliers en phase concours ou commercialisation (films d’animation, images et visites immersives). Nous avons également mis en place un service de modélisation Low Poly (Le modelage 3D consiste à créer un objet 3D à l’aide de logiciels spécialisés. Le modèle 3D est constitué de triangles définissant la forme de l’objet. Cette modélisation est adaptée aux projets avec le rendu en temps réel) qui est orienté vers la création de contenu WebGL (Web Graphics Library, qu’on pourrait traduire en « bibliothèque de graphismes pour le Web ») et d’environnements virtuels pour une utilisation en temps-réel. Nous avons beaucoup travaillé pour le métavers entre 2017 et 2020.

Le rapport interministériel de la mission sur le développement des métavers publié en 2022 définit ce dernier comme « un service en ligne donnant accès à des simulations d’espaces 3D en temps réel, partagées et persistantes, dans lesquelles on peut vivre ensemble des expériences immersives »

Le métavers fait partie de ces inventions récentes qui propose un monde virtuel déjà bien implanté et bien réel. On peut s’y déplacer pour faire des achats, participer à des réunions, on peut aussi y acheter des terrains ou encore simplement s’y promener pour y passer du « bon » temps.

Les premières réalisations concrètes de ce concept remontent aux années 1990-1995 pour Active Worlds, aux Etats-Unis, ou 1997 pour Le deuxième monde, en France. Elles ont longtemps été limitées par les capacités techniques du moment.

Aujourd’hui, il existe un grand nombre de métavers, la plupart méconnus, et c’est l’annonce de Meta (Facebook) qui a remis sur le devant de la scène médiatique ces environnements.

Même s’il n’existe pas de définition précise, on peut lister quelques éléments caractéristiques d’un métavers :

  • C’est une réalisation informatique qui permet de créer un univers virtuel — ou monde ou environnement virtuel — dans lequel nous pouvons interagir ;
  • L’environnement virtuel créé est composé d’éléments de paysage ou de décor, d’objets divers et d’êtres animés autonomes ou contrôlés depuis le monde réel (on parle alors d’avatars) ;
  • L’environnement peut reproduire une partie du monde réel ou matérialiser des éléments abstraits de celui-ci ou proposer quelque chose de totalement nouveau ;
  • Les lois de cet environnement virtuel et l’aspect et le comportement de ce qui le compose peuvent être similaires à ceux du monde réel, ou non ;
  • L’accès à cet environnement se fait à travers des interfaces classiques (clavier, souris et/ou manette, écran tactile) ou spécifiques (casque, lunettes…) qui permettent de percevoir le monde et d’interagir avec ce qui le compose ;
  • A travers ces interfaces, diverses activités sont possibles : se déplacer ; observer ; créer ou modifier des éléments ; en acquérir ou en échanger ; collaborer ou rivaliser avec d’autres personnes présentes ;
  • L’environnement est accessible et utilisable simultanément par un très grand nombre de personnes ;
  • L’environnement persiste dans la durée et évolue en permanence, qu’on y accède ou non, on le retrouve ainsi rarement dans l’état où on l’a laissé.

L’ensemble de ces caractéristiques permet à une société virtuelle de se développer, avec une culture propre, une économie… »

Bonjour Fabien Palfroy, quel lien le géomètre-expert entretient-il avec le métavers ?

F.P : « Le monde technologique avance vite. On le voit notamment dans les outils que nous proposent nos fournisseurs et la démocratisation des nouveaux modes d’acquisition de données.

On parlait il y a quelques années de la ville du quart d’heure. Exit la ville du quart d’heure, les bouchons et la problématique de la voiture grâce au métavers, le télétravail est à portée de casque, l’apéro Facetime à portée d’écran et le panier de course à portée de clic.

Le métavers offre de nouveaux espaces. Il est l’alternative permettant un confort « virtuel » en offrant à travers un casque de réalité augmentée un grand logement sans voisin, une vue dégagée sur les champs ou encore mieux sur la « mer » ou la « montagne » et, je pousse le raisonnement, une famille et des amis choisis sur catalogue. Le métavers est également un espace économique dans lequel on y vend des terrains « virtuels » à des prix déconnectés de ceux de la réalité dont les transactions se font via les blockchains.

Les architectes déclaraient que si nous voulions développer de nouveaux espaces virtuels il était important de pouvoir fixer de nouvelles règles. Je suis convaincu que le géomètre-expert doit pouvoir prendre toute sa place dans la régulation de ces nouveaux espaces que sont les métavers.

Xavier Poirier, pensez-vous comme Fabien que l’activité du géomètre-expert est transposable dans ces nouveaux espaces ?

X.P : « Le métavers n’est pas régulé comme le monde réel. Il est lié au Web3 et à la blockchain qui par essence sont libres et dérégulés. L’achat de terrains ou parcelles se fait via les NFT « Non Fungible Token » (en français jeton non fongible). Les NFT ne sont pas des crypto-monnaies. Il s’agit à la fois d’un certificat d’authenticité, un titre de propriété et un contrat. Cet ensemble généré numériquement est inscrit sur un registre, qui lui-même est incorporé dans une blockchain.

La sécurisation des parcelles du métavers relève plus de la cybersécurité que du droit tel que peuvent le pratiquer les notaires ou les géomètres-experts. Ce dont je suis certain, c’est que le métavers a besoin d’exactitude, de précision et de garantie lorsqu’il s’agit de créer ou de cloner des éléments dans le monde virtuel. Pour moi, c’est là que le géomètre-expert a toute sa place. Il est le mieux placé par ses compétences, sa rigueur et sa formation. Il sera le l’acteur idéal pour modéliser le réel ou cloner les éléments de notre monde. Dans les mondes virtuels, vous pouvez recréer des bâtiments, des monuments historiques (pyramide d’Egypte, châteaux forts…) ou même cloner des îles qui demain n’existeront plus dans le monde réel du fait de la montée des eaux mais que l’on pourra retrouver dans ces nouveaux environnements ».

Pensez-vous que le métavers a encore un avenir ?

X.P : « Il est indéniable que le métavers fait face à des défis, notamment avec la concurrence de la montée de l’IA générative et des complexités techniques qui entravent son développement. Néanmoins, il est crucial de ne pas perdre de vue cette innovation qui présente un potentiel social, économique et technologique immense. Le métavers est encore en développement et il est normal qu’il rencontre des obstacles. Cependant, cela ne signifie pas qu’il est voué à l’échec.

Si aujourd’hui, le métavers touche peu de monde c’est que l’environnement graphique n’est pas au rendez-vous et que les équipements permettant d’y accéder, comme le casque de réalité virtuelle (exemple : oculus), restent coûteux. Pour créer des environnements réellement immersifs et capables d’embarquer de nouvelles communautés, nous aurons besoin du déploiement des infrastructures du réseau 5G. Elles sont un préalable et nous en sommes encore loin.

Pourtant d’ici à 2026, chaque individu devrait passer 25 % de son temps dans des écosystèmes virtuels immersifs ou métavers, que ce soit pour se former, étudier, socialiser, consommer ou se divertir. Cela montre à quel point le métavers est appelé à devenir une partie intégrante de notre quotidien. Les avancées en matière de réalité virtuelle et augmentée, l’interopérabilité et l’émergence de « mini-verses thématiques », ainsi que la complémentarité avec l’intelligence artificielle générative, sont autant de raisons de croire en l’avenir du métavers. En combinant ces technologies et en surmontant les obstacles, nous pourrions être témoins de l’émergence d’un Web4 révolutionnaire qui va transformer radicalement notre façon de vivre dans les mondes virtuels et réels ».

Fabien Palfroy, pensez-vous que les espaces virtuels soient une réponse à la sobriété foncière ?

F.P : « Les mondes virtuels sont particulièrement populaires auprès des adolescents et des jeunes adultes, des gamers et des crypto-enthousiastes qui sont attirés par les possibilités de socialisation, de personnalisation et de créativité qu’ils offrent. La puissance communautaire est essentielle dans le succès des projets liés au Web3. L’utilisateur/client devient un acteur engagé au sein de la communauté qui partage les idées et les mêmes valeurs.

Les métavers vont évoluer dans les années à venir. N’oublions pas qu’il s’agit d’un lieu de rassemblement pour une communauté avec un système marchand qui fait tourner le système. Je pense que nous aurons progressivement des environnements de plus en plus vertueux. Ces espaces spéculatifs vont certainement se réguler d’eux-mêmes en attirant de nouveaux utilisateurs. Nous verrons si le géomètre-expert a un rôle à jouer pour sécuriser les parcelles. En tout cas, si les infrastructures réseaux se développent et que l’environnement est amené à devenir proche de celui de la réalité, nul doute que les géomètres-experts seront l’un des acteurs majeurs pour accompagner le développement de ces nouveaux espaces virtuels.

Concernant la sobriété foncière, en parallèle des métavers spéculatifs dans lesquels nous vivons en achetant des parcelles, des espaces virtuels complémentaires peuvent exister. Les avatars vont se développer et demain, rien n’interdit de développer des lieux de vie comme des musées, des salles de spectacles virtuelles dans lesquels nous pourrions nous déplacer via nos avatars…

Si la stratégie de sobriété foncière ne nous permettra plus, d’ici 2050, de consommer de nouvelles surfaces artificialisables, le métavers ou d’autres espaces virtuels seront à coup sûr de nouveaux environnements qui permettront d’assurer le développement des communes tout en respectant l’objectif de zéro artificialisation nette des sols. Les progrès dans les domaines de la réalité virtuelle (VR) et de la réalité augmentée (AR) sont essentiels pour la réalisation d’un métavers immersif.  Les dispositifs vont devenir plus performants, légers et abordables, ce qui rendra l’expérience du métavers ou des mondes virtuels plus accessible et convaincante. L’acceptation des casques progresse et les durées de session VR vont augmenter, ouvrant la voie à des cas d’usage encore plus nombreux et qui s’inscriront comme une alternative à la stratégie de sobriété foncière. Cependant, nous pouvons d’ores-et-déjà nous demander si répondre au besoin de sobriété foncière par les mondes virtuels ne s’opposera pas à la stratégie de sobriété énergétique ».

Aujourd’hui, avec l’émergence de la digitalisation dans tout secteur, notamment ceux de la construction et de l’immobilier, et le développement accéléré du métavers, ce dernier peut servir comme un outil d’analyse des perceptions en ville. Dans ce sillage, des chercheurs de l’Université de Lille ont utilisé la réalité virtuelle comme moyen d’évaluation des perceptions de l’espace urbain, et ce, en plongeant un échantillon de 36 personnes dans une ville virtuelle aux paramètres définis, sans éléments perturbateurs. D’après les résultats issus de cette étude, le recours à la réalité virtuelle en amont de projets urbains, pourrait devenir un outil d’aide à la décision pour les décideurs en matière d’urbanisme et d’aménagement territorial. Au regard de telles réflexions sur le métavers, il est donc naturel pour les géomètres-experts, habitués aux démarches prospectives, de se positionner dès maintenant et d’apporter leur vision à l’usage du numérique et des nouvelles technologies pour bâtir un cadre de vie plus résilient, plus vivable et plus durable. Leur retour d’expérience peut aussi être une réponse pour démystifier le métavers et balayer les peurs qu’il véhicule encore auprès des institutions, des professionnels et des citoyens.

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