Pas de mesure fiable sans donnée qualifiée !

Les géomètres-experts étaient rassemblés le 19 octobre dernier pour le colloque « qualification de la data : le rôle grandissant du géomètre-expert à l’ère digitale ». L’occasion pour Olivier Minot, président de la Commission expertise de la mesure de l’Ordre des géomètres-experts de nous expliquer le rôle de la profession dans l’acquisition, le traitement et la qualification de […]

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Les géomètres-experts étaient rassemblés le 19 octobre dernier pour le colloque « qualification de la data : le rôle grandissant du géomètre-expert à l’ère digitale ». L’occasion pour Olivier Minot, président de la Commission expertise de la mesure de l’Ordre des géomètres-experts de nous expliquer le rôle de la profession dans l’acquisition, le traitement et la qualification de la donnée.

Bonjour Olivier Minot. Votre commission a organisé le colloque « Qualification de la data : le rôle grandissant du géomètre-expert à l’ère digitale ». Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

O.M : « Cet événement intervient dans un contexte marqué par l’explosion du volume des données numériques. Ce colloque est une demande ancienne du Conseil supérieur de l’OGE qui considère le sujet de la qualification de la donnée comme un axe stratégique majeur pour la profession dans les années à venir. Il a mandaté la commission expertise de la mesure pour travailler sur le sujet avec l’idée de faire partager ces enjeux à l’ensemble de nos consœurs et confrères mais aussi aux étudiants qui deviendront dans quelques années les futurs géomètres-experts. Nous observons beaucoup d’attentes de recrutement et de professionnalisation sur les sujets du traitement de la donnée, plus que sur l’acquisition de la donnée à proprement parler. Pourtant, un bon traitement nécessite une très bonne compréhension des techniques d’acquisition.

Le principe de cette journée était de partager les procédures à mettre en œuvre par notre profession pour garantir l’exactitude des données géospatiales. Nous avons proposé de travailler la première partie du colloque sur le rappel des techniques d’acquisition de la donnée. La seconde partie était consacrée aux manières de l’exploiter pour la garantir. C’est bien là, la valeur ajoutée de notre métier ! »

En quoi la digitalisation de la société impacte-t-elle votre métier ?

O M : « La digitalisation croissante des usages impacte directement le quotidien des professionnels de la mesure que sont les géomètres-experts. De la télédétection par laser aux systèmes de positionnement par satellites en passant par les sonars et les radars, les technologies actuelles déployées dans la construction, l’aménagement du territoire ou encore les mobilités permettent de collecter des données de plus en plus nombreuses et complètes, que les géomètres-experts sont particulièrement à même de « qualifier ».

Il y a 20 ans, lorsque nous voulions faire un plan d’intérieur, nous arrivions sur site avec une feuille de papier, un stylo, un mètre à ruban et un distance mètre. Avec notre station totale et des principes allant du général au particulier permettant d’encadrer un bâtiment en mesurant une polygonale, nous prenions les cotes à l’intérieur du bâtiment avant de revenir au bureau au bout d’une journée de travail pour traiter les données et les numériser.

Aujourd’hui, le métier a changé : pour faire la même prestation, avec les scanners statiques ou mobiles comme avec la photogrammétrie… nous allons générer des photos en hautes résolutions et/ou des nuages de points. Cela nous permet de ramener le chantier au bureau. Avec l’ensemble des données récupérées sur le terrain, nous pouvons établir les livrables souhaités. Le fait d’avoir beaucoup d’informations est un avantage puisque cela évite de devoir retourner in situ. Nous avons la donnée pour faire des plans de façades, des plans de coupe, des élévations, un modèle 3D à différents niveaux de détails. Cependant, cette massification des data présente un inconvénient, celui de devoir déterminer précisément ce que l’on doit extraire et ce que l’on veut faire de toute cette donnée. Il faut rationnaliser les informations pertinentes pour en extraire le livrable adapté à un cahier des charges défini en amont. Par ailleurs, l’acquisition en masse ne garantit pas la qualité globale, qui peut ne pas être adaptée au besoin final ».

Quelle différence faites-vous entre l’acquisition et le traitement de la donnée ?

O M : « Avant de parler de la qualification de la donnée, il faut se questionner sur la façon dont on l’acquiert. Il y a beaucoup d’attente sur le sujet du traitement de la donnée. Nous sommes un métier en tension et les professionnels de la géomatique recherchent plutôt des personnes pour interpréter la donnée que pour l’acquérir. Cet état de fait est assez effrayant puisque cela laisse entendre que l’acquisition de données géospatiales peut être laissée à des sociétés comme Google, Facebook ou des non-sachants pour la générer… On s’aperçoit qu’il y a de plus en plus de gens qui peuvent faire de l’acquisition de données, traduisant une démocratisation de l’acquisition a priori bienvenue. Lorsque cette démocratisation s’appuie sur des « boîtes noires » que l’utilisateur n’est plus en mesure d’appréhender et donc de remettre en question, nous nous exposons à des flux de données non maîtrisés. Or, et c’est bien là notre rôle, il faut comprendre comment la donnée est produite pour pouvoir la qualifier.  Par exemple, si nous prenons les assemblages automatiques de points, il est bien nécessaire de connaitre la précision attendue, les effets de dérive, les assemblages en « double peau » traduisant une anomalie de calcul, pour garantir les résultats obtenus par l’acquisition de donnée. Il est nécessaire de la qualifier pour effectuer un traitement qui puisse garantir la précision et la justesse des livrables.

Prenons l’exemple le plus parlant et parmi les plus anciens, celui du GPS. Simple d’utilisation, le GPS nous propose aujourd’hui rapidement des coordonnées en temps réel. Mais quel utilisateur est aujourd’hui en mesure d’effectuer lui-même le traitement du signal GPS brut ? C’est l’une des premières boîtes noires qui est arrivée. Le GPS annonce les coordonnées mais nous n’avons pas la main sur le résultat de ces coordonnées, qui dépend de la constellation satellitaire et du traitement statistique des signaux GPS. Un géomètre-expert va mettre en place un protocole juste pour vérifier les coordonnées relatives entre plusieurs points donnés par un GPS, sans les considérer justes par défaut. C’est parce que nous qualifions la donnée acquise que nous pouvons garantir la précision et la justesse.

Avec les appareils électro-optiques comme le scanner que nous utilisons, c’est la même chose. Nous assemblons les différentes techniques d’acquisition et nous mettons en place un processus de mesure qui nous permet de garantir leur utilisation conforme aux attentes. L’usage de la donnée est rendu possible notamment parce que l’on sait comment fonctionne l’appareil et quelles sont ses limites. En mettant en place des techniques qui permettent de les contrôler intelligemment cela permet de qualifier la donnée produite par le système d’acquisition ».

Les géomètres-experts conservent les données. Est-ce que la démultiplication des données impacte leur stockage ?

O.M : « Effectivement, depuis l’arrivée d’autocad sur le marché, il y a 25 ans environ, nous avons des données au format numérique et même un petit peu plus si l’on considère ce qu’on a digitalisé des travaux antérieurs. Nous étions dans une ère informatique où nous pouvions avoir des données numériques acquises sur le terrain générant des poids de données relativement légers, du moins face à la progression constante des capacités de stockage informatique, toujours meilleur marché.

Aujourd’hui, avec les scanners statiques et mobiles mais aussi avec la photogrammétrie qui génère la double peine avec à la fois des photos et des nuages de points en sortie, la quantité de data devient exponentielle et bien plus rapide que l’évolution des capacités de stockage. Elle pèse lourd et impacte les infrastructures à mettre en place pour stocker la donnée. Il faut aussi pouvoir la rendre accessible à l’ensemble d’une équipe lorsque l’on travaille sur un projet d’envergure sur différents sites de production, soit par des solutions de transferts et stockages répliqués, soit par des solutions cloud. Cela nous impose plus fortement que par le passé de devoir choisir quelles données doivent être conservées, sans compter le poids carbone de cette masse de données dont on peut s’interroger sur le taux réel de ré-employabilité à termes, au même titre que les dizaines de milliers de photos numériques désormais stockées par tout individu au cours de sa vie. Il faut en passer par l’IA pour disposer du « meilleur » choix de photos puisque nous n’avons même plus le temps de toutes les consulter ».

Comment voyez-vous l’arrivée de l’IA ?

O.M : « La vraie question est de se demander si l’IA sera capable d’inventer de la donnée. Est-ce qu’elle saura extraire d’une donnée brute un livrable fini ? Sera-t-elle capable de corréler toutes ces informations entre elles et de les qualifier pour produire des mesures intelligentes avec précision comme nous pouvons le faire ?

Dans un monde numérique, il est important d’avoir des experts capables de questionner les techniques d’acquisition pour garantir la justesse et la précision des données dans un contexte donné.

A ce jour, l’IA est capable de produire des résultats très intéressants sous réserve de disposer des bonnes questions d’entrée, ce qui implique d’avoir le niveau d’expertise adéquat pour poser ces dernières. Mais quid de sa capacité future à se poser elle-même les questions ? »

Grâce à son expertise d’acquisition, de traitement et de qualification de la donnée, ainsi que la confiance légitime qui lui est accordée par les juges, la profession de géomètre-expert est très bien positionnée pour garantir l’exactitude et la précision des mesures dans un monde ou la donnée est facilement accessible et interprétable. Car quand bien même les nouvelles technologies et l’IA permettent un gain de temps et l’accès à de multiples data, rien ne peut encore remplacer l’expertise d’une profession comme celle de géomètre-expert qui justement est seule garante d’une interprétation de la data la plus juste possible pour ensuite établir une mesure fiable et pérenne. Le digital reste donc un support de poids pour les géomètres-experts mais les compétences acquises au fil des années sont elles les premières ressources de la mesure la plus fine possible.

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